- ÉPIGENÈSE
- ÉPIGENÈSEÉPIGENÈSELa doctrine de l’épigenèse affirme une thèse quant à la formation de l’être vivant au cours de l’embryogenèse. Selon cette thèse, la forme individuelle d’un être vivant n’est pas présente à la fécondation. Cette forme n’apparaît que progressivement à partir d’une substance indifférenciée. Cette formation lente va durer tout au long de la gestation, de l’incubation, de la métamorphose ou de la germination. Depuis un siècle, cette thèse a été étendue à la neurogenèse postnatale et à la psychogenèse. La maturation psychique, animale ou humaine serait un processus d’épigenèse (Piaget, Freud). En contradiction avec l’idée d’épigenèse, la doctrine de la préformation postule que la forme individuée préexiste matériellement, bien qu’invisible, dans un germe. L’ontogenèse serait ainsi un simple «agrandissement», l’ordre des parties restant invariant du germe à l’individu achevé. Cette controverse actualise deux intuitions très différentes des relations «forme-devenir». S’y opposent deux compréhensions de la nature, de la vie et de la psyché.Dès le début du XVIIe siècle, la forme individuelle est interrogée comme unité de structures, comme ordre structuré d’organes. C’est à travers le rapport un/multiple que s’opposeront préformationnistes et épigénétistes. Tous pensent la fécondation à partir d’une dualité de semences: masculine et féminine. Pour les épigénétistes (Van Helmont, D’Aquapendente, Harvey), l’unité organisée provient d’une genèse réelle à partir de deux substances séminales fluides inorganisées, différentes dans leur essence mais complémentaires dans leurs fonctions. L’union complémentaire des deux semences actualise une force formatrice, réel principe de l’individuation. Au contraire, des auteurs insistent sur le rôle symétrique des deux semences (Bacon, Descartes, Highmore). Apparaît ainsi un préformationnisme issu de l’atomisme mécaniciste: l’ordre organisé provient d’une combinaison de particules séminales solides et préorganisées, provenant des deux parents.Dans la seconde partie du XVIIe siècle, la question de la formation de l’unité d’un individu vivant va se transformer en celle de son identité (Leibniz). À l’intérieur de la doctrine préformationniste, une longue querelle oppose depuis Stenon «ovistes » et «animalculistes» — les premiers situent des germes préformés dans les «ovaires» (Van Horne, Kerckring, De Graaf), les seconds les placent dans les animalcules de la semence mâle (Leeuwenhoek). Deux hypothèses sont avancées quant à la possibilité de cette préexistence des germes: un emboîtement (Swammerdam, Malebranche), une dissémination (Perrault, Hartsoeker). Seul un germe semble garantir l’identité formelle propre à l’espèce. À partir du XVIIIe siècle, les épigénétistes vont au contraire insister sur les phénomènes qui semblent infirmer cette préexistence de l’identité univoque: variété, monstruosité, régénération, hybridation. Pour les préformationnistes, une forme organisée est trop complexe pour se reformer de novo à chaque génération. Les épigénétistes soulignent les formations naturelles spontanées de formes complexes, tels les cristaux. Vers le milieu du siècle, la controverse change de langage: elle est repensée en termes d’«organique». Selon les préformationnistes, le vivant forme une réalité irréductible, un «tout organique» aussi petit que l’on veut (Bonnet, Haller). Les épigénétistes (Maupertuis, Buffon) comprennent la réalité organique comme composée de particules vivantes, assimilées et moulées par les formes adultes, et transmettant ainsi par les deux sexes la forme semblable. C. F. Wolff est le grand théoricien-observateur de l’épigenèse (1759): la relation parties-tout qui définit la forme adulte est la cause formelle d’une genèse de «chemins», de «traces organiques», issue de l’inorganique.Dès le début du XIXe siècle, la querelle se reformule en termes d’organisation (Lamarck). Soit on pose le caractère premier de l’intégralité de l’organisme: c’est alors une logique épigénétique de coordination qui assure la différenciation des feuillets de l’embryogenèse (Meckel, Pander, Von Baer, Geoffroy Saint-Hilaire). Soit au contraire on souligne des différenciations structurales qui semblent renvoyer à une organisation prédifférenciée (Cuvier). La théorie cellulaire intensifiera l’opposition. Les épigénétistes insisteront sur l’intégration de la cellule dans un équilibre vital actuel (C. Bernard, Dareste, Darwin, Haeckel). Les préformationnistes affirmeront une continuité du «plasma germinatif» qui, d’œuf en œuf, traverse les générations (Jaeger, Nussbaum) — sur cette base, Weismann postulera une coupure radicale «soma/germen».Hertwig (1875) montre la fécondation réciproque de l’ovule et du spermatozoïde, par fusion des deux noyaux. Dans les années 1880, la controverse se redéfinit à partir des travaux d’embryologie expérimentale (Roux, Chabry). La mise en évidence des pouvoirs d’autorégulation de l’œuf fécondé (Driesch) et de l’action de centres organisateurs (Spemann) va renforcer les thèses épigénétistes. Au contraire, la génétique insistera sur la logique propre des gènes. Cette logique se révèle à travers toute division cellulaire et toute fécondation. Logique de reproduction cellulaire, elle semble confirmer la thèse préformationniste. Une nouvelle opposition sous-tend la controverse: ordre local/ordre global. Selon les épigénétistes, la forme globale détermine la genèse; selon les préformationnistes, toute ontogenèse est prédéterminée par l’ordre local du génome. Depuis les années 1950, le pouvoir d’auto-organisation du vivant et l’origine de l’information sont devenus le centre de ce conflit théorique. L’enjeu en est une nouvelle compréhension de l’individuation comme création actuelle d’ordre. C’est pourquoi les points cruciaux sur lesquels la controverse est la plus vive portent sur la neurogenèse et la genèse des compétences cognitives du système nerveux central. Le livre Théories du langage-Théories de l’apprentissage (Seuil, 1979) de Massimo Piatelli-Palmarini montre à travers le débat nativisme/constructivisme ce renouveau de la controverse préformation/épigenèse.• épigénèse 1625; de épi- et -genèse, -génèse♦ Hist. sc. Théorie selon laquelle un embryon se développe par différenciation successive de parties nouvelles. La doctrine de l'épigenèse s'est opposée à celle de la préformation.⇒ÉPIGENÈSE, (ÉPIGENÈSE, ÉPIGÉNÈSE)subst. fém.EMBRYOL. Théorie selon laquelle l'embryon d'un être vivant se développe par multiplication et différenciation cellulaire progressive, et non à partir d'éléments préformés dans l'œuf. Doctrine de l'épigenèse. Anton. préformation. L'embryon se construit peu à peu, par complications successives, par épigenèse (J. ROSTAND, La Vie et ses probl., 1939, p. 37) :• Elle [mon âme] nage et rêve dans l'infini de ce petit lien si doux, dans la tiède mer de lait. (...) Ainsi, ce matin, sous cette bienheureuse impression, vibrant d'elle encore, je notai avec plaisir la doctrine si simple de Stahl, L. Müller, l'épigénèse, ou : la vie fait la vie.MICHELET, Journal, 1860, p. 535.Rem. On rencontre ds la docum. a) Épigénésique, épigénétique, adj. Relatif à l'épigenèse. Formation épigénétique. Un « comportement épigénétique pseudo-programmé » qui rappelle les mécanismes de l'instinct, le développement des embryons (Hist. gén. sc., t. 3, vol. 2, 1964, p. 120). b) Épigénésiste, subst. masc. Partisan de l'épigenèse. Le pauvre épigénésiste (Needham) est réduit en poudre impalpable (J. ROSTAND, Genèse vie, 1943, p. 68).Prononc. et Orth. Épigenèse [
] ds LITTRÉ, GUÉRIN 1892, Lar. encyclop., Lar. Lang. fr. et QUILLET 1965. À part LITTRÉ tous ces dict. écrivent le dér. épigénésique. LITTRÉ écrit épigenésique. Épigénèse [
] ds Ac. Compl. 1842, BESCH. 1845, Lar. 19e-Lar. 20e, DG, ROB. Cf. genèse. Étymol. et Hist. 1625 (Duchesne, P. Méd., 58, 933 ds QUEM. DDL t. 1). Composé des éléments préf. épi- et de l'élément suff. -genèse. Fréq. abs. littér. :7.
épigenèse ou épigénèse [epiʒenɛz] n. f.ÉTYM. 1625; épigénésie, Boiste, 1808; de épi-, et -génèse.❖1 Hist. des sc. Théorie selon laquelle un embryon se développe par formation successive de parties nouvelles. || La doctrine de l'épigénèse est opposée à celle de la préformation.0 (…) observations faites par Harvey (…) qui l'avaient amené à croire que l'embryon se constitue graduellement dans l'œuf par formation successive de parties nouvelles (épigénèse).Jean Rostand, Esquisse d'une histoire de la biologie, p. 24.2 Biol. Notion qui englobe tous les aspects de l'ontogénèse qui dépendent de l'action des cellules les unes sur les autres. ⇒ Régulation (4.).❖DÉR. Épigénésique, épigénésiste, épigénétique.
Encyclopédie Universelle. 2012.